Tsu-Ki-Ji ! Un nom qui sonne comme la cloche d'ouverture d' un combat... un combat contre le temps dans ce temple de la fraîcheur. Il s'agit de l'ancien marché de la métropole de Tokyo, "Tsukiji shijô" en japonais, déménagé en octobre 2018 dans la halle moderne aseptisée de Toyosu. Tsukiji signifie "polder", terrain bâti par l'aménagement des marais de la rive droite du fleuve Sumida traversant la ville. Il devient ainsi, après le séisme du Kantô en 1923, le "ventre de Tokyo".
Tsukiji va offrir à la ville des tonnes de marchandises fraîches et variées, livrées régulièrement, alimentant les poissonneries, commerces de détail et restaurants. Devenu l'épicentre olfactif et gustatif de la vie tokyoïte, ce marché singulier était le plus grand du monde, le plus ancien, le mieux situé au centre de la métropole tourné vers l'océan, et bien sûr le plus mystérieux... Il en découlera une évolution des pratiques alimentaires nippones, une part de la cuisine se déplaçant vers la sphère artisanale, et la fraîcheur des poissons inspirant des milliers de cuisiniers. Les japonais vivent une histoire très intime avec les poissons, ils en dégustent toute l'année des centaines d'espèces différentes, tels des mets attachés à des saisons. Ils incarnent l'âme de la gastronomie japonaise.
Le thon rouge était la star de Tsukiji, il se vendait frais, et congelé à -60°C pour être plus maniable et donc trois fois plus échangé sur le marché que le thon rouge frais. Les enchères pouvaient atteindre des records: un thon de 222 kg fut vendu en 2013 à un célèbre restaurateur pour 1,2 millions d'euros. Les grands thons frais étaient filetés d'un seul coup de lame de "maguro bôchô", un très long couteau à lame souple. Les différents morceaux étaient ensuite disposés dans des vitrines, exposant toutes leurs nuances de rose et de rouge qui traduisent leurs qualités et valeurs marchandes. Ici le thon rouge a toujours été un bijou que l'on prépare avec respect selon des traditions ancestrales.
Les maisons de négoce empruntaient souvent comme noms des toponymes de la région du Kansai, rappelant le rôle historique majeur des pêcheurs de l'ouest du japon. La caisse se situait en général au fond d'une boutique improvisée sans cloison, avec toujours une trésorerie réservée aux femmes, comme dans la famille traditionnelle japonaise. Les "taare" sillonnaient le marché avec célérité et habileté. Ce sont de petites camionnettes avec le moteur dans le cylindre à l'avant, nerveuses et se faufilant parfaitement entre les boîtes de polystyrène entassées qui jonchaient le sol.
Toute cette frénésie était animée, régulée et observée par des tokyoïtes aussi divers que charismatiques, sur le visage desquels l'on pouvait deviner l'influence et le caractère de Tsukiji. Plus qu'un marché, un savoir-faire ou des personnages, Tsukiji concentrait en réalité une part authentique et séculaire de l'esprit japonais... R.I.P